Le parchemin s’était révélé très intéressant : il s’agissait d’un fragment de journal de bord. Bien qu’il ait été transporté par un groupe de trolls, celui-ci était rédigé en haut-elfe, et racontait une partie du périple qui les avait mené à Sindo’we. Les lignes encore lisibles avaient été écrites d’une main ferme, qui maniait cette langue avec une habilité certaine. Cela n’était pas de la grande littérature, mais la personne qui avait rédigé le journal avait été une personne cultivée. Elfe, certainement, au vu des tournures de phrases parfois un peu alambiquées. Hélas ! Le parchemin ne révélait pas l’emplacement de Sindo’we… Mais le texte révélait plusieurs indications précieuses pour la suite de leur quête.
« Notre dernière escale avant Sindo’we était enchanteresse. Les grands arbres, le lieu bucolique, les couleurs…Tout cela était un ravissement pour les sens. Et même si mes compagnons sont un peu frustres parfois, je ne peux pas nier qu’ils savent apprécier la beauté quand ils la voient. Quelle qu’en soit sa provenance. Un petit village elfe jouxtait une minuscule cascade, et ils nous ont accueillis avec hospitalité, malgré une certaine réserve envers mes compagnons. Nous y sommes restés plusieurs jours, à partager avec eux quelques unes de nos connaissances. Quand ils furent certains de notre bonne volonté, ils nous ont indiqué comment poursuivre notre voyage. Au-delà des dragons, le Puits-de-Lune contenait une partie des réponses que nous attendions. Sindo’we était à portée de notre main. Enfin. »
Elles avaient décidé de montrer leur dernière trouvaille au gnome. Outre le texte, ce parchemin recélait d’autres informations… que lui saurait certainement déchiffrer. Elles ne se trompèrent pas. A peine avait-il le parchemin entre les mains qu’il avait commencé à babiller sur sa composition, la méthode de fabrication du rouleau, de l’encre, en allant même jusqu’à décrire le type de plume utilisée pour écrire.
« Les circonvolutions ici, ici, et là sont typiques. Il existe peu de plumes capable de résister à une pression comme celle-ci sans se casser, ou plier, et donc faire un pâté. » Joignant le geste à la parole, il saisit une plume à côté de lui, la trempa dans l’encre et tenta de dessiner une arabesque alambiquée. Evidemment, la plume se plia, et une tache d’encre recouvrit le papier. « Voyez ? Et, s’il avait été dessiné lentement, le trait aurait été tremblotant, et non pas affirmé comme il l’est sur ce parchemin. »
Il se dirigea vers son écritoire, pour farfouiller au milieu d’une liasse de papiers et de plumes. Il en sortit une, qu’il brandit triomphalement au dessus de sa tête. A petits pas rapides, il se dandina vers la carte du monde qui était plaquée au mur. Désignant un endroit sur Kalimdor, il ajouta solennellement : « Seules les plumes du bec-en-sabot sont assez résistantes pour cela. Et on n’en trouve que là. »
Leur prochaine destination était donc toute trouvée. Au village en question, peut-être trouveraient-elles comment aller à Sindo’we. Seulement, une surprise les attendait quand elles annoncèrent leur intention de partir.
« Non, non, non. Pas cette fois ! J’en ai marre de rester coincé dans ma tour alors que vous allez faire vos balades. Je viens avec vous. »
Alounka et Eryne s’entre-regardèrent avec stupéfaction. Non seulement elles ne savaient pas ce qui les attendait là-bas, mais elles se doutaient que le chemin pour y parvenir n’était pas forcément des plus praticables. Alors, pour le gnome – qui préférait se prélasser sur un coussin que d’escalader des montagnes – la route risquait d’être longue… Mais le gnome restait inflexible. Pour cette fois, au moins, il allait les accompagner dans leur périple. De guerre lasse, Alounka haussa les épaules d’un air fataliste, et entreprit d’expliquer au gnome la nécessité de voyager léger. L’énorme malle qu’il se proposait d’emmener, par exemple, était sans doute un peu trop, pour un voyage à dos de cheval.
« Mais il me faut bien des vêtements ! » s’exclama le gnome. « Je ne peux pas partir avec mon équipement, sans vêtements de rechange, tout de même ! », termina-t-il en désignant un tas de coffres, tous plus énormes les uns que les autres, qui trônaient derrière la première malle.
Eryne pouffa, et Alounka soupira. Il lui fallut quelques heures pour faire comprendre au gnome que son équipement était trop encombrant. Il finit par se contenter d’un modeste – à son goût – sac de voyage. La draeneï songea en son fort intérieur qu’il était fort heureux qu’il soit un mage, en plus d’être un savant. Cela lui permettrait de diminuer le poids de son sac… qui faisait bien trois ou quatre fois la taille de son paquetage habituel. L’elfe ne lui avait été d’aucun secours face à la détermination du gnome, car elle avait été sujette à des crises de fou rire à chaque objection du mage.
La première partie du voyage se déroula sans incident notoire. Le gnome essaya d’acheter la moitié du bateau au gobelin qui le pilotait – sans succès – alors que l’elfe passait beaucoup de temps enfermée dans sa cabine, à lire et relire le parchemin, tout en comparant ses notes avec les dessins des tablettes qu’elle avait recopiés. Il lui semblait qu’ils avaient oublié quelque chose d’important dans tout cela, mais elle n’arrivait pas à mettre le doigt dessus. Et le mage n’était pour le moment d’aucune utilité, tout à l’excitation de son voyage d’essploration.
Ils parvinrent enfin en Azshara, à la tombée de la nuit. Ne voulant pas commencer leurs recherches dans le noir, ils décidèrent de se reposer et de partir au petit matin à la recherche du village et du fameux Puits-de-Lune.
C’est après un bon repas, et alors que les étoiles scintillaient doucement au dessus de leurs têtes que la draenei et l’elfe commencèrent à parler de leur essploration. Après tout, elles avaient retracé une partie du chemin effectué par la draeneï pendant son amnésie, mais il manquait encore quelques jours.
« Una Ji’ro nous a dit que j’étais allée la voir vers la fin de la semaine. Mais, entre le moment où nous avons parlé des tablettes et celui où je suis allée là bas, il manque plusieurs journées. Je n’ai certainement pas mis autant de temps pour parvenir au village troll. Donc, je suis passée par un autre endroit. Mais où… » Elle se massait les tempes, essayant de recouvrer la mémoire. Mais rien n’y faisait, elle avait beau tourner et retourner le problème dans tous les sens, elle n’arrivait pas à se souvenir de la moindre seconde passée cette semaine-là.
« Ton amnésie et tes cauchemars sont peut-être liés. Sans doute, même », lui dit le gnome, le visage pensif, comme perdu dans les flammes. Il tourna son regard intelligent vers Alounka. « La silhouette que tu dis avoir aperçue dans la grotte doit aussi jouer un rôle dans tout cela. Mais… nous n’en savons pas assez pour le moment. »
« Nous réussirons à percer ce mystère, un jour ou l’autre.», conclut doucement l’elfe, le menton posé sur ses genoux.
« En attendant, nous devons nous reposer. » Le mage s’affala à moitié sur le sol. « Personne n’a une histoire à raconter ? », demanda-t-il, en plaisantant. L’idée sembla frapper la draeneï, qui se tourna vers Eryne en souriant légèrement.
« Avec ces histoires, je n’ai finalement pas su ce que tu avais essploré la semaine passée. »
L’elfe eut un sourire vague, et sembla s’extraire de ses rêveries. Elle se redressa, et s’assit en tailleur, le dos bien droit.
« C’est vrai. Mais mes aventures te sembleront bien pâles à côté de ce que nous sommes en train de chercher maintenant. »
Sa voix prit un ton mesuré, calme, mais cadencé. Elle eut un air un peu rêveur, tout en se plongeant dans ses souvenirs, essayant de se remémorer son voyage le plus précisément possible.
« Nous nous étions séparées sur des idées différentes. Tu ne m’avais pas dit ce que tu recherchais… de mon côté, je n’osais pas dire vers quoi j’allais tourner mes pas. Je ne savais pas vraiment moi-même ce que j’allais faire là bas. Après ma dernière visite à Darnassus, un druide de mes amis m’avait parlé d’un lieu étrange, gris et sinistre. Les roches y sortaient de terre et se tendaient vers le ciel comme si le sol lui-même essayait de s’extraire de cet endroit. Je ne voulais pas vraiment le croire, mais cela avait piqué ma curiosité.
Sans trop savoir comment y aller, ni même sans vraiment savoir ce qui pouvait m’y attendre, je suis allée dans les Royaumes de l’Est. Je ne te raconterai pas le nombre de fois où je suis tombée des montagnes… vous vous doutez que cela n’a pas été de tout repos. Mais au final, j’ai réussi à parvenir à l’endroit dont il m’avait parlé.
C’était… impressionnant. Et lugubre. D’autant plus qu’il pleuvait... L’air était glacial, et la pluie, qui tombait à grosses gouttes, me trempait jusqu’aux os. Mon cheval renâclait, et je dus plusieurs fois descendre afin de le tirer par la bride. Il n’y avait pas un seul signe de vie dans cet endroit : même les arbres étaient morts. Les seuls bruits que j’entendais étaient celui de la pluie frappant les pierres, et celui que nous faisions. Le son des sabots frappant le sol se réverbérait faiblement sur les parois autour de nous. Finalement, j’étais contente qu’il pleuve, car cela assourdissait le bruit de nos pas.
Ainsi que me l’avait indiqué mon ami, on aurait dit que les pierres essayaient de s’extirper de la terre pour s’enfuir. A perte de vue, on ne voyait que des rochers sortant du sol, et des arbres morts. Mais… il y avait un petit chemin, qui serpentait au milieu de tout cela. Curieuse, je l’ai suivi.
La route était longue, et mon cheval rechignait de plus en plus à avancer. J’ai donc décidé de le laisser un peu à l’abri, sous une pierre qui ne risquait pas de tomber, et j’ai continué à pied. J’ai du faire un peu d’escalade, par ci par là, mais heureusement, cela n’était pas trop difficile. »
Devant le regard amusé d’Alounka, elle admit de bonne grâce : « Oui, je suis tombée. Mais comme j’étais déjà trempée et transie de froid, je n’ai pas senti la différence. Tout au plus ai-je récolté quelques bleus supplémentaires, mais je commence à avoir l’habitude…
Sans trop savoir pourquoi, donc, j’ai continué sur le chemin. Il avait été assez fréquenté, il fut un temps. Je ne sais pas trop ce que je m’attendais à trouver au bout… mais certainement pas ce sur quoi je suis tombée.
Elles étaient immenses. Elles faisaient sans doute plus d’une dizaine de mètres de haut. Trois statues, les visages entièrement dissimulés par des capuches, et tenant des épées plantées dans le sol. Elles semblaient regarder au centre… Il y avait une espèce de squelette, taillé grossièrement dans la pierre, dans lequel on avait disposé des bougies, et des restes de sacrifices. Sur le sol, une énorme rune reliait les trois statues… Elle luisait faiblement sous la pluie. »
Sa voix avait prit un ton d’horreur contenue. « Je suis partie quasiment tout de suite. J’ai à peine pris de temps de fouiner un peu, pour trouver des indications sur ce lieu, mais… Je n’ai rien trouvé de significatif. Le sacrifice avait été fait quelques temps avant. Sans doute un ou deux jours … »
Elle replia les genoux sous son menton pour entourer ses jambes de ses bras. Elle tremblait légèrement, tout en se souvenant de ce qu’elle avait ressenti en voyant cela, et regarda fixement dans les flammes, comme pour se donner du courage.
« De ce que j’ai pu en juger, il s’agissait de restes animaux. Un daim, ou un cerf, certainement. Mais… il avait été à moitié dévoré. Il… il restait encore des lambeaux de chair sur les os. Des lambeaux carbonisés, sur des os à demi-broyés. » Elle tourna un regard égaré vers Alounka, qui était restée stupéfaite devant la description d’Eryne. Elle ne lui avait pas parlé du rêve qui les avait amenées au mage. Et pourtant, la description des statues qu’elle faisait était bien trop conforme à son cauchemar pour qu’ils ne soient pas liés. La voix d’Eryne s’éleva de nouveau, un peu tremblotante, cette fois.
« J’ai rejoins mon cheval, et je suis partie au triple galop. Il n’y avait pas de vie, là bas. Qu’est-ce qui serait assez gros pour laisser de telles traces ? »
Alounka resta silencieuse, mais le gnome entreprit de demander des précisions, tout en se rapprochant un peu plus du feu, comme pour essayer de se mettre à l’abri des ombres qui lui semblaient maintenant bien menaçantes. Repliée sur elle-même, l’elfe se plongea plus profondément dans ses souvenirs pour essayer de se rappeler de son aventure le plus précisément possible. Malheureusement, les indices dont ils disposaient étaient bien maigres, et ils ne purent pas déterminer ce qui avait dévoré l’animal. La seule chose certaine était qu’il devait s’agir d’un très gros animal. Voire peut-être un dragon. Mais cette hypothèse ne fut évoqué qu’en souriant, car quel dragon – créature suprêmement intelligente s’il en fût – accepterait de se comporter ainsi ?
Cependant, alors que le gnome et l’elfe évoquaient leurs théories sur l’animal qui avait pu dévorer le sacrifice, Alounka était restée coite. La description d’Eryne avait réveillé un écho dans sa mémoire. Mais elle ne savait pas s’il s’agissait d’une réminiscence de son cauchemar, ou bien un souvenir réel… Même si elle ne devait connaître le fin mot de l’histoire que bien plus tard, elle penchait cependant pour la deuxième hypothèse. Après tout, Eryne s’était elle aussi retrouvée face à ce type d’autel. A l’exception de la nature du sacrifice et de l’état des statues, les deux étaient semblables…
« C’est étrange » intervint-elle finalement. « J’ai rêvé de ces statues. »
Un silence stupéfait lui répondit, alors que deux paires d’yeux interrogatifs se tournaient vers elle. Le gnome, comme l’elfe, gardèrent le silence en attendant qu’elle daigne leur en dire un peu plus.
« Juste avant que je ne décide que nous devions te voir. C’était très bref… Mais j’ai vu les mêmes statues, et le même autel. Enfin, à quelques différences près. Celui dont j’ai rêvé était plus ancien, les pierres plus abîmées, et le sacrifice, humain. » Malgré la température clémente, elle frissonna à son tour. « J’avais une impression étrange d’oppression, et d’urgence, sans arriver à comprendre pourquoi. Les restes humains avaient été entièrement nettoyés, de cela, je m’en souviens. Mais… le reste est vraiment flou. »
Le gnome hocha la tête avec conviction.
« A priori, tes cauchemars seraient plus des souvenirs que des produits de ton imagination. Il doit donc exister d’autres endroits où il y a de telles statues. Il s’agit maintenant de les retrouver… Et peut-être arriverons-nous à comprendre ce qu’il t’est arrivé, Alounka. Quand nous serons de retour chez moi, j’entamerai de nouvelles recherches là-dessus. »
Le sujet était clos. Il ne servait à rien de ressasser encore et encore les bribes de souvenirs d’Alounka, et Eryne avait dit tout ce dont elle se rappelait… De plus, le lendemain serait plus sportif, et ils avaient besoin de repos. Ils parlèrent encore un peu, de tout et de rien, pour chasser l’ombre qui s’était installée dans leurs esprits. Les tours de garde se succédèrent, jusqu’au petit matin. Même si l’environnement était calme, ils ne pouvaient se permettre de se laisser surprendre.
C’est sous un magnifique ciel bleu, légèrement couvert, qu’ils commencèrent leur essploration. Comme prévu, le gnome grommela en remettant son paquetage, et profita d’être seul un instant pour diminuer artificiellement le poids de son sac. Mais, poids artificiellement réduit ou pas, il eut du mal à suivre la cadence imposée par la draeneï. Autant l’elfe avait fini par se faire au rythme d’Alounka, autant le gnome fut-il rapidement relégué en arrière-garde.
La route serpentait au milieu de ruines, s’enfonçant de plus en plus profondément au cœur des montagnes. Cependant, la pente était douce, et même le mage finit par arriver, en plus ou moins bonne forme, au village elfique. Celui-ci avait été déserté, mais restait cependant en un état remarquable. Ses couleurs se mariaient harmonieusement à celles de la forêt qui, d’une manière surprenante, semblait figée en un été indien éternel. La température était plus que clémente, et des feuilles dorées, rouges et orangées tournoyaient depuis la cime des arbres. A l’occasion de leurs nombreuses pauses, l’elfe s’arrêtait pour contempler le paysage, tandis que le gnome cherchait des informations sur les ruines, et que la draeneï piaffait d’impatience. Alounka était pressée de découvrir ce qu’il y avait plus loin. Même si l’état de la forêt et des ruines provoquait en elle un certain intérêt, elle préférait se concentrer sur leur objectif du moment. Et le mage mettait tellement de temps pour analyser ses ruines…
Pas tant de temps que cela, en fait, se dit-elle lorsqu’ils parvinrent au village. En voyant le gnome s’arrêter une énième fois pour reprendre son souffle, elle se demanda si l’examen des ruines n’était pas un excellent prétexte pour prendre un peu plus de repos.
Le village était vide. Vide de meubles et de vie. Il n’y avait aucun signe de précipitation, comme si les gens avaient purement et simplement disparu avec leurs affaires. Ils inspectèrent toutes les maisons, les unes après les autres, pour finalement s’arrêter en haut d’une tour. Il n’y avait nul besoin de chercher plus d’indices dans ce village, finalement…
« Au delà des dragons, le Puits-de-Lune contenait une partie des réponses que nous attendions. », récita l’elfe. Au moins avaient-ils trouvé les dragons…
Ils s’arrêtèrent quelques temps sur cette tour, à savourer la vue qui s’offrait à eux, et prendre un peu de repos tout en grignotant. Ainsi que le disait le parchemin, les couleurs étaient enchanteresses. Quelques animaux, par ci, par là, vaquaient à leurs occupations. Peu farouches, certains daims s’approchèrent même des trois essplorateurs, intrigués par ces bêtes à deux pattes.
Mais il était surprenant que le monde soit arrêté dans cet immortel été indien. Après tout, ils n’en étaient réellement qu’au début du printemps… Alors que dans les régions alentours, les arbres commençaient à bourgeonner, ici, ils semblaient perdre éternellement leurs feuilles. En y regardant de plus près, cependant, ils s’aperçurent qu’à leur manière les arbres en étaient à la même phase que les autres. Seulement, les feuilles qui commençaient à poindre étaient toutes d’une teinte jaune/orangée. Pourtant, les arbres étaient les mêmes que ceux qui se trouvaient alentours… La magie devait être à l’oeuvre, pour maintenir les arbres dans ce perpétuel automne.
Tout en progressant, Alounka se demandait ce qui avait motivé la création de Sindo’we. Les trolls et les elfes, autrefois parents, se montraient plus hostiles les uns envers les autres qu’enclins à partager leurs connaissances respectives. Alors, l’idée d’une cité regroupant de tels savoirs était inimaginable. D’une manière plus pratique, elle se demandait ce qu’ils avaient pu partager. Après tout, comment les hauts-elfes, si arrogants, auraient-ils pu daigner à prodiguer des enseignements, admettre leur incompétence dans certains domaines, et même apprendre d’autres types de magie ? Alors qu’elle s’interrogeait, elle jetait des regards pensifs à l’elfe qui l’accompagnait. Elle ne pensait pas qu’il était courant que des elfes de la nuit s’intéressent aux hauts-elfes. Pourtant, Eryne connaissait cette langue, et en parlait sans l’étrange répugnance dont d’autres interlocuteurs auraient fait preuve. A en croire les dires de l’elfe, elle n’était pourtant pas la seule dans ce cas…
Elle s’était récriée en riant, lorsqu’Alounka lui avait parlé d’une possible parenté avec des Bien-Nés. Elle avait affirmé avec amusement, mais avec conviction, qu’elle n’était aucunement liée aux Hauts-elfes. Cependant, elle lui avait raconté que certaines classes étaient ouvertes afin de mieux comprendre ce qu’ils étaient devenus. Elle avait terminé son petit récit avec un sourire distant, sur ces quelques mots :
« Les Bien-Nés reviendront. D’ici là, nous devons être prêts à les comprendre, et à endiguer leurs pouvoirs… au besoin. »
La draeneï s’interrogeait toujours lorsqu’ils parvinrent à des ruines insolites, à l’architecture alambiquée. Une construction atypique, au style étrange, s’incorporait pourtant parfaitement au paysage. En son centre, brillant d’une lumière rouge, une pierre flottait à près d’un mètre de hauteur. Le gnome restant affalé sur un rocher, à reprendre son souffle, l’elfe fut la seule à aller l’examiner. Elle contempla celle-ci en silence, sous toutes les coutures, pendant plusieurs minutes. Quelques runes étaient gravées sur le granite qui la composait, invisibles si l’on ne l’observait pas avec attention.
Les runes tracées étaient d’une beauté sauvage. A mi-chemin entre la sophistication caractéristique des hauts-elfes et la simplicité efficace des trolls, la puissance dégagée par les runes laissa l’elfe sans voix. Sans y toucher réellement, elle laissa sa main glisser à quelques millimètres de la surface de la pierre, abasourdie par leur finesse et leur élégance naturelle. Elle se perdit quelques instants dans les circonvolutions, se laissant porter par les murmures magiques des runes. Petit à petit, une phrase musicale se dégageait, un refrain lancinant, qui expliquait certainement l’état dans lequel se trouvaient les arbres. Discrètement, en bas des runes chantantes, quelques chiffres et lettres négligemment tracées indiquaient simplement les noms de ceux qui avaient participé à l’enchantement. Une signature numérique, en somme.
Cependant, pour belles qu’elles furent, les runes n’indiquaient pas la direction de Sindo’we. Elles étaient cependant le signe qu’elfes et trolls avaient collaborés ensemble pour créer l’environnement enchanteur dans lequel ils se trouvaient. Eryne laissa les runes à regrets, en se retournant fréquemment pour les regarder, tandis qu’Alounka était ravie de reprendre la route en direction de Sindo’we. Elle se doutait bien qu’ils n’étaient pas au bout de leurs surprises, et avait hâte d’en apprendre plus. Et s’ils étaient restés trop longtemps, le gnome et l’elfe se seraient perdus dans des discussions à n’en plus finir, rébarbatives à souhait pour la femme d’action qu’elle était.
Ils continuèrent leur progression vers le sud, laissant les dragons disparaître peu à peu derrière les collines et les arbres. Le jour avançait à grands pas, et il leur faudrait bientôt trouver un nouvel endroit pour se reposer. Ils continuèrent cependant, jusqu’à trouver de nouvelles ruines typiquement elfes. Contrairement à celles qu’ils avaient déjà croisées, plus éparses, celles-ci semblaient regroupées en un ensemble de bâtiments. Un coup d’œil leur suffit à identifier une espèce de lieu saint, un groupe de temples dédiés à… à quoi ?
Pour des elfes de la nuit, la seule divinité - si tant est qu'on puisse l'appeler ainsi - méritant un tel culte était Elune. Cependant, la statue d’un Bien-Né, qui occupait une place de choix, était déroutante. Alors qu’ils s’approchaient, Eryne poussa un cri de surprise et bondit d’un pas léger par-dessus le ruisseau qui les séparait de la statue. En quelques enjambées rapides, elle distança les deux autres, s’arrêta un bref instant pour déchiffrer de loin ce qu’elle lisait au pied de la statue, avant de se retourner pour crier :
« Altruis Mènetempête ! Ce nom ne me dit rien. C’est très certainement un Bien-Né, probablement mage, d’après son nom. »
Elle se rapprocha de la statue pour mieux appréhender les écritures décrivant Altruis. Alounka et le gnome épuisé, la rejoignirent rapidement. Elle était plongée dans les pensées, le regard dans le vague, mais les yeux en direction de la plaque commémorative. Le gnome émit un claquement de langue agacé. Encore du haut-elfe ! Décidément, il en avait soupé, de cette langue à fioritures, tellement alambiquée et empruntée qu’elle mettait à rude épreuve sa patience pourtant légendaire.
« La signature, en bas, ressemble à celle que nous avons vu sur les tablettes d’Una. Il s’agit probablement d’un des fondateurs de Sindo’we. En tout cas, du côté elfe. »
Le gnome soupira d’un air renfrogné.
« C’est bien beau tout ça, mais la nuit tombe. N’y aurait-il pas un endroit où l’on pourrait se reposer ? »
« Il y a très certainement un temple dédié à Elune, ici. Même les Bien-Nés n’auraient pas osé créer tous ces bâtiments sans en dédier un à leur déesse. Il suffit de le trouver, et nous pourrons nous y abriter pour la nuit. »
Il ne leur fut pas très difficile de trouver le temple, malgré une relative discrétion de celui-ci. Il était en excellent état, bien mieux conservé que les autres bâtiments. Pour l’elfe, il s’agissait d’un signe divin. Pour les autres, d’une heureuse coïncidence.
En pénétrant dans le temple, ils s’aperçurent qu’il ne s’agissait ni de l’un, ni de l’autre. Tout simplement, le bâtiment était le seul à être protégé par la magie, afin qu’il ne tombe jamais en ruine. La bâtisse était vide, mais le bassin intérieur générait une lumière douce et apaisante. A n’en point douter, cet endroit était idéal pour y passer la nuit. Bien qu’épuisé, le mage prit le temps d’examiner les différentes pierres qui bordaient le bassin. Le regardant avec intérêt, Alounka l’imita.
« Il n’y aura probablement pas besoin de faire des tours de garde cette nuit », annonca le gnome après un instant de réflexion.
Alounka acquiesca. « Les pierres d’alarme seront suffisantes pour nous avertir pendant la nuit. »
Le gnome jeta un coup d’œil surpris à la draeneï, pendant que l’elfe feignait l’indifférence. Il n’était pas courant que des étrangers, généralement peu au fait de la magie elfique, soient au courant de ce genre de pratique… d’ailleurs peu utilisée. Les pierres d’alarmes étaient astucieusement dissimulées au sein de rocs luminescents. Rien, normalement, ne les différenciait des autres pierres, mis à part une magie diffuse, sur une longueur d’onde inhabituelle. Alounka regardait les alarmes avec un léger intérêt, de l’air blasée de celle qui les a déjà observé sous toutes les coutures. Ce qui était le cas. Au cours de ses essplorations, elle avait eu plusieurs fois l’occasion de se retrouver face à ce genre d’objets. D’après sa propre expérience, elle savait que l’usage en était plus répandu que ne le pensait le gnome. Ces pierres étaient extrêmement pratiques, mais, ainsi que le lui avait expliqué un maître des arcanes lors d’un de ses voyages aux confins du monde, leur création n’était pas des plus faciles. La difficulté principale résidait dans la création d’une alarme sur une longueur d’onde semblable à celle utilisée pour la création de la lumière.
Grâce à la présence des pierres, la nuit fut reposante pour nos trois compères. Alounka et Eryne se réveillèrent rapidement, comme à leur habitude, et emballèrent leur paquetage avant de se préparer à partir. Le réveil fut un petit peu plus difficile pour le gnome, qui protesta plusieurs fois dans un demi-sommeil qu’il voulait encore dormir, et qu’il prendrait bien quelques tartines pour le petit déjeuner… Puis, lorsqu’il commença vraiment à se réveiller il se dressa sur son séant avant de réprimer un grognement de douleur. Des muscles, qu’il ne connaissait pas jusque là, venaient de se révéler à sa conscience. Assis, il essaya précautionneusement de se lever, et de vérifier quelles parties de son corps n’étaient pas douloureuses. Il en arriva à l’amère conclusion que tout son corps le faisait souffrir, jusqu’à sa tête qui commençait à pulser en une désagréable migraine. Il ronchonna.
« A mon âge, ce n’est pas de tout repos, que de faire le singe aux quatre coins d’Azeroth ! J’espère que nous arriverons bientôt, toutes ces acrobaties ne sont pas vraiment faites pour moi ! »
Alounka et Eryne échangèrent un regard complice, tandis que le mage, après avoir remballé ses affaires, commençait à avancer tout en continuant à râler. Evidemment, personne n’avait pensé à lui dire que cela serait trop fatigant ? Et qui donc avait dit qu’il fallait qu’il vienne ? Lui ? Mais non, il n’aurait jamais eu une idée aussi folle ! Tout cela était bien joli, mais pourquoi les chevaux n’avaient-ils pas pu venir ? Voire même une carriole, ou un chariot ! Tout en protestant, il continuait cependant sa progression avec les deux essploratrices, qui veillaient, en ce début de matinée, à garder un pas mesuré afin qu’il se remette de ses courbatures. Petit à petit, il se redressa, et marcha d’un pas plus assuré. Les douleurs se calmaient, au fur et à mesure que ses muscles se réchauffaient. Son mal de tête, cependant, persistait.
Le soleil atteignait quasiment son zénith quand ils parvinrent – enfin – au fameux Puits-de-Lune. En voyant la lumière qui en émanait, nul doute n’était permis, il s’agissait bien de celui décrit par le journal de bord de l’elfe. Alors qu’ils s’approchaient prudemment du puits, ils se sentirent envahis par une impression de bienfaisance. Les muscles encore douloureux du mage se détendirent, et son mal de tête disparu enfin, comme par enchantement. De légères billes de lumière s’envolaient du Puits-De-Lune pour aller se perdre en direction du ciel. L’elfe s’arrêta un instant, prêtant l’oreille à un son qu’elle était la seule à entendre. Ses sourcils se froncèrent cependant, alors qu’elle se hâtait de rejoindre Alounka, au centre du puits. Le gnome les rejoignit peu après, un peu essoufflé, mais en bien meilleure forme qu’auparavant.
« L’aura qui se dégage de ce Puits-de-Lune est impressionnante, » dit la draeneï, en contemplant les volutes de lumières qui se dégageaient du puits. « Mais cela ne nous indique pas quelle direction… »
Elle s’interrompit brutalement, stupéfaite. A son tour, elle percevait des sons étranges provenant du Puits-De-Lune. Le gnome s’était déjà arrêté, l’air aussi abasourdi qu’elle. Le Puits-De-Lune émettait des sons sur des fréquences variables, avant de se concentrer sur des sons plus audibles pour eux. Petit à petit, les sons devinrent des mots, et les mots formèrent des phrases. Sur un ton bienveillant, une étrange magie dissimulée par l’aura bienfaisante du Puits-De-Lune leur indiquait comment poursuivre leur voyage.
« Bienvenu à vous étrangers, qui avez prit le temps de venir jusqu’ici pour parvenir à notre cité. Sindo’we… Je ne sais pas ce qui vous a motivé à entreprendre ce long voyage vers nous, mais sachez que vous serez accueillis chaleureusement. Il ne vous reste plus beaucoup de route à faire, quelques jours, tout au plus. Le Puits-De-Lune vous aidera à restaurer vos forces, en attendant la suite du voyage. La route que vous devez emprunter serpente le long des montagnes. Il vous faudra traverser la chaîne du Pol, et contourner le pic du Worg Blanc. D’autres indications vous seront données en cours de route, mais le chemin sera sans encombre jusqu’à Sindo’we. Nous vous y retrouverons. »
Le message était signé par Altruis Mènetempête. Il donnait également quelques informations supplémentaires sur le chemin à suivre jusqu’au pic du Worg Blanc. De larges sourires éclairaient les visages des trois essplorateurs, alors que le message se répétait en boucle. Enfin ! La fatigue ayant disparu de leurs membres, ils profitèrent cependant encore un peu de l’aura guérisseuse du Puits-De-Lune. Ils ne doutaient pas que la suite de leur épopée serait longue, bien qu’Altruis leur ait assuré qu’il n’y aurait pas de complications pendant leur voyage. Ils finirent par se restaurer sur place, avant de reprendre leur route. Au fur et à mesure, le message d’Altruis s’était noyé dans les profondeurs de leurs esprits, leur laissant à présent profiter de leur environnement. Cependant, il suffisait de se concentrer un peu pour percevoir de nouveau le message, et réentendre à l’envie les indications nécessaires pour la poursuite de leur quête.
Remettant leurs paquetages sur leurs dos, ils recommencèrent leur périple en suivant les indications données par Altruis. Ils marchaient de nouveau d’un bon pas, toutes fatigues et doutes effacées par le message et le Puits-de-Lune. De nouvelles questions flottaient à la surface de leurs esprits, tandis qu’ils cheminaient vers leur destination. Pourquoi de telles indications, à des endroits aussi étonnants ? Pourquoi Sindo’we avait-elle été abandonnée, alors que les messages y menant n’avaient pas été effacés ? Pourquoi le village elfe avait-il été abandonné ? Y avait-il un pendant Troll au chemin qu’ils suivaient ?
Qui était réellement Altruis ? Et que cachait donc Sindo’we ?
Autant de questions qui devaient pour le moment rester sans réponse. Peut-être auraient-ils quelques éclaircissements dans la cité mythique, mais ils se doutaient que leur curiosité ne serait pas entièrement satisfaite. Mais au moins auraient-ils l’amorce des explications finales…
Ainsi que l’avait indiqué Altruis, le chemin était relativement accessible. Le gnome, se sentant mieux grâce au Puits-de-Lune, avançait sans rechigner, tout en regardant de temps à autre les ruines qu’ils trouvaient sur leur passage. Il les examinait cependant beaucoup plus rapidement que la veille, se dit Alounka en souriant.
Alors qu’ils traversaient un col derrière lequel le Puits-de-Lune allait disparaître, Alounka se retourna une dernière fois, et son regard se posa sur des ruines, près d’elle. Elle cligna des yeux, médusée par une surprise incrédule. L’ombre se dispersa cependant rapidement. Mais, malgré tout, elle ne douta pas de ce qu’elle venait de voir.
La même ombre que celle qu’elle avait déjà aperçue. Avec la même aura terrifiante. Alors que ses deux comparses l’appelaient pour continuer la route, elle resta un bref instant à contempler l’endroit où le personnage inquiétant avait disparu. S’agissait-il encore une fois d’un souvenir ? Etait-ce une hallucination ? Ou est-ce que cela cachait une menace plus directe ? Etaient-ils…
Elle secoua la tête, alors que ses compagnons l’appelaient avec plus d’insistance. Que faisait-elle donc, plantée là, au milieu du chemin ? Elle se disait que… que quoi ? Elle se détourna et rejoignit ses deux compagnons, fronçant les sourcils. Il lui semblait que quelque chose lui échappait. Mais, devant le sourire que lui montraient ses acolytes, et la vue qui s’offrait à elle, elle relégua rapidement ce moment au fond de son esprit.
Derrière eux, un rire discret et malsain s’éleva, presque inaudible.