Paroles de l'après guerre.
mar. 23 févr. 2010, 22:19
Cela va bientôt faire cinq mois que je ne t'ai pas écrit. Excuse-moi d'avoir oublié: je ne suis plus le même.
Les combats dans les terres gelées du grand Nord m'ont achevé. Nous revenons victorieux, mais pour les légions d'estropiés comme moi, la vie post-guerre ne sera que l'ombre de son passé. Au campement du Régiment XII, ma division, j'ai déjà vu trois humains se donner la mort. Je les comprends: cela fait plus d'un an et demi qu'il n'ont pas vu leurs familles, leurs femmes. Ils ne savent plus comment se comporter dans une civilisation qui leur sera reconnaissante, mais les oubliera dans quelques mois. Nous avons tous vu des choses dont l'atrocité dépasse les mots. Pendant tout ce temps, le froid et la peur nous a gelé les nerfs, nous rendait aveugle à notre condition. Mais alors que les glaces éternelles de la Couronne se brisent et fondent, nous, nous regagnons la sensation dans notre corps et notre esprit.
C'en est trop. Le plus terrible dans la vie d'un soldat, c'est quand les souvenirs enfouis d'une guerre le rattrapent, le tiennent et l'étouffent. Et en ce moment, une déferlante de choses qui auraient du rester sous la neige me submerge.
A notre retour, nous serons décorés par le roi pour le service à la nation. Le butin de guerre est maigre: les morts n'ont que peu de richesses, et les nains ont mis main basse sur toutes les reliques des titans. Mon avenir est aussi obscur que les cieux des Steppes Ardentes. Peut-être que j'achèterais une petite parcelle de terre à labourer dans les marches de l'ouest. Avec un bras en moins, ce sera drôle, tiens.
Ce que je redoute, c'est retrouver ma femme. J'ai entendu des histoires d'horreur de soldats qui, hantés par des visions cauchemardesques, ont fini par étrangler leurs femmes, convaincus que ce sont des ennemis. Je ne veux pas infliger une vie de paranoïa, de violence à Cardie. Je ne lui ai pas écrit depuis 3 mois, et j'espère qu'elle me pense mort. Je l'aime plus que tout dans le monde, mais je dois renoncer à la revoir. Je sais que cela est monstrueux, mais son chagrin ne sera rien par rapport au mien. Elle est jeune, et pourra trouver un autre mari digne de ce nom. Je t'en supplie, ne lui parle jamais de cette lettre, et dis aussi que tu me crois mort. L'armée, dans une geste de grâce, nous offre la chance de rayer notre nom des survivants du régiment, pour commencer une autre vie. Je vais saisir cette chance, mon ami, dans le faible espoir de m'en sortir.
Le bateau part dans six jours du Fort de la Bravoure. Je serais de retour à Stormwind dans un peu plus de deux semaines, si les mers sont clémentes. Ne m'attends pas au port, car il y aura Cardie aussi. Je descendrais à Ménéthil, avec les nains. J'espère que tu pourras y être pour m'accueillir.
Ton ami,
Larho.